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LA TUBÉREUSE


Un jardin fait plus mal encor que la musique.
Lorsque le beau matin reluit d’ardeur physique,
La senteur des rosiers jette des fils si chauds
Qu’on entend grésiller un doux bruit de fuseaux.
Les glycines en feu de tant d’odeur sont ointes
Qu’on les contemple en souriant, et les mains jointes.
Le lis tient un miel vert dans ses doigts écartés,
Et quelquefois, pendant la chaleur des étés,
L’arome de l’œillet contre le rêve éclate
Comme une âpre fusée, ou comme une sonate
Dont l’andante est si fort que les mains sur son cœur
On ne sait si l’on meurt de peur ou de bonheur…
Mais vous, force des nuits, feu d’argent, tubéreuse,
Reine des soirs puissants, cœur profond, chair heureuse
Dont le velours est fait de parfums condensés,
Vous, par qui le poumon soudain s’enfle et se creuse,
Abime où vont venir s’exalter vos baisers,
Fleur humide d’ardeur, ô brûlante pleureuse,
Aspersoir dont les brins sont des parfums tressés,
Comme vous absolvez dans la nuit langoureuse
Les âmes sans répit et les cœurs caressés !