Page:Noailles - Les Éblouissements, 1907.djvu/26

Cette page a été validée par deux contributeurs.

MATIN


L’azur tantôt languit et tantôt se réveille ;
L’été bourdonne et luit comme une jeune abeille,
Je me repose au cœur du temps vivace et clair ;
Le visage, baigné des flots joyeux de l’air,
Et de tous les parfums que le vent doux étale,
Respire avec autant de plaisir qu’on avale.
Sous le branchage simple et net d’un alizier,
Les touffes d’herbe sont comme un petit brasier.
Une émouvante et tendre odeur de friandises,
De lis, de sarrasin, d’orangers, de cerises
Est au centre du jour en ébullition.
L’œillet courbe sa tige et meurt de passion.
La brise, dont l’arome à la pêche s’égale,
Jette un papillon mauve au rosier du Bengale.
Dans l’assoupissement de l’éther argentin
On entend, comme un chant faible, assourdi, lointain,
Les coups du bûcheron et le bruit de la forge,
Le vol du roitelet, le cri du rouge-gorge,
Le vif crépitement du soleil bleu sur l’orge…
Ah ! comme on est heureux de vivre, ce matin !