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ENCHANTEMENT


Un rosier, ce matin, donne au jardin luisant
Son amoureuse et fine essence,
Le coeur de chaque fleur répand un tiède sang,
Je meurs de cette complaisance.

Je meurs de vous, beauté, langueur, ardeur d’été,
Senteur de ma rose étouffante !
Douceur du prunier bleu, dont les fruits éclatés
Ont du soleil à chaque fente.

Tout ce qui vit ici, la fontaine, le banc,
La cloche du jardin qui sonne,
Le délicat cerfeuil qui frise sous le vent,
Sont pour moi de douces personnes.

– Jet d’eau triste et chantant, verger, touffes d’odeur
Petit gazon nouveau qui pousse,
Comme vous disjoignez et défaites mon cœur,
Par vos faibles, fortes secousses !

Je tords les fils de l’air, les franges de l’été
Dans ma bouche amoureuse et tendre ;
Je ne sais si le jour me donne sa beauté,
Ou sur mon âme vient la prendre.

– Ah comme j’ai tenté, pendant de longs printemps,
Avec des phrases parfumées,
De fixer la tiédeur, l’ardeur, le goût flottant
Des choses que j’ai tant aimées,