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LE VALLON DE LAMARTINE

Et buvant vos ondes sonores
Je m’enivre d’amour encore…
Mais un fantôme est là qui trouble mon esprit,
Je le vois qui s’assoit, qui rêve, qui sourit…
– Dans ce vallon tintant de fraîcheur argentine
J’ai mis mes faibles pas dans vos pas, Lamartine,
Et je vais, le cœur grave et le regard penché,
Sur les chemins étroits où vos pieds ont marché.
Ah si lourdes que soient vos plaintes immortelles
Vous avez moins souffert, car vous aviez des ailes.
Vous n’avez pas connu, sur ce montant chemin,
La gloire et la douleur de n’être rien qu’humain,
De n’avoir pour secours et pour lueur divine
Que l’immense soleil qui monte et qui s’incline ;
Si tendre que soit l’or de son visage ardent
Vous ne pouvez savoir comme est soudain strident
Ce besoin que l’on a de ne pas disparaître,
D’être, d’être toujours et sans fin, d’être, d’être !
Vous, dans le matin pur et dans les soirs sereins,
Où, comme de joyeux et graves pèlerins
Alignés saintement sur la jeune verdure,
Le hêtre murmurant, l’orme vêtu de bure,
Les beaux sapins chargés de coquilles de bois
Montent, emplis d’amour, de charité, de foi,
Vers le clocher qui brille au haut de la colline,
Vous étiez un archange orné de paix divine.
Mais moi, dès mon enfance, abîmant ma raison
Aux luisantes parois du muet horizon,