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VERSAILLES

Sous des doigts suppliants dont l’ardeur est un ordre,
D’attirer sur leur chaud, leur humble cœur, humain,
Le frôlement profond et lent d’une autre main,
Et de laisser jaillir d’un sein qui se soulève
Les lamentations du désir et du rêve !…

Là-bas un bassin noir, écrasé de chaleur,
Semble un vase voilé qui recèle des pleurs.
Ah ! comme ce jardin empli de paix dormante
Au lieu de m’apaiser m’effraye et me tourmente.
Moi qui ne vis jamais un parterre enchanté
Sans me sentir la nymphe heureuse de l’Été,
Sans jeter sur les beaux buissons fleuris de joie
Des regards plus pressants que des filets de soie,
Sans courir tout auprès du luisant oranger
Pour mêler mes deux mains à son geste léger,
Sans m’appuyer au tronc d’un hêtre qui s’élance,
Sans m’unir à son cœur par mon tendre silence,
Je suis ici timide et mourante d’émoi…
Ce jardin sommeillant et lourd n’est pas à moi.
Voici les résédas de la petite fille
Qui dut avoir si peur le jour où la Bastille
Tremblait dans la chaleur au son noir du canon.
Voici le phlox sensible et sa fleur de linon.
Voici le rosier blanc dont la rose est moins vive
Que ne fut le doux sein de la Jeune Captive,
Voici la fin du jour, hélas ! voici le soir,
Voici d’immenses flots de glissant désespoir,
Voici des pas, des voix et des âmes sans nombre,