Page:Noailles - Les Éblouissements, 1907.djvu/203

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
198
VERSAILLES

Dans la chambre où marchait Madame Adélaïde…
Ah ! comme l’air est las, comme le monde est vide,
Comme la jeune aurore a perdu ses amants,
Depuis que tous ces fronts frivoles et charmants
Accourus à l’appel de la funèbre chasse
Ont quitté la maison, le parc et la terrasse !…
Hélas les eaux, les bois semblent disgraciés !
Qu’importe, beaux massifs, que vous refleurissiez ?
Vous ne rendrez jamais, si clair que le jour naisse,
Au tendre Trianon sa luisante jeunesse,
Les brillants orangers d’un vert vif et verni
Ne peuvent empêcher que le temps soit fini
Où le parterre ardent riait sous ses abeilles,
Où les femmes étaient de vivantes corbeilles,
Et leurs cheveux la source au reflet argentin ;
Le temps où, quand sonnaient neuf heures du matin,
On voyait, sur un banc, tenant un bol de crème,
Cette enfant qui sera duchesse d’Angoulême ;
Le temps où, quand le soir semble soudain trop doux,
Si bien qu’un corps charmant étouffe tout à coup,
La reine brusquement entr’ouvrait sa fenêtre,
Et voyant s’obscurcir la nuit qui vient de naître,
Entendant frissonner la rose et le lézard,
Chantant pour soi des airs que lui montra Mozart,
Rêvait à des amours secrètes et sereines…
Ah ! ce divin besoin qu’ont sans doute les reines
A l’heure où vont languir les rossignols, les geais,
De mourir sur le cœur de leurs tendres sujets,
De sentir défaillir leur beau front en désordre