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L’AURORE


– Comment es-tu venu si près de ma demeure,
Ô petit Jupiter jouant dans l’air d’azur ?
Ne pâlis pas ainsi, j’ai peur que tu ne meures
D’écraser tes luisants rayons blancs sur le mur !

Tu vois, tout le jardin est une chaude arène,
Soleil, petit taureau, augmente tes transports,
Ne crains pas d’effrayer et de blesser ta reine,
Et dans mon pourpre cœur entre tes cornes d’or !

Soleil moelleux et dru qui brille, brille, brille,
Soleil vert et d’argent, soleil bleu, soleil brun,
Pâmoison enfermée en l’ardente résille,
Ô rose, défaillant de son propre parfum,

C’est ma prière unique et ma foi naturelle
De plier mes genoux orgueilleux sur tes pas,
De n’avoir jamais vu ta face qui ruisselle
Sans qu’un sourire immense en mon cœur s’allumât.

Ah qu’on nous laisse seuls, que ma ferveur t’attire,
Que je puisse mêler mes doigts à ton éclat,
Que je presse sur moi, objet de mon délire,
Les parfums enflammés de tes jardins lilas !

Je te dirai Voici, c’est vous, c’est moi, je t’aime,
Je ne souhaite rien que de rester ainsi,
Je te vois, je te sais, notre ardeur est la même,
Je n’habite que l’air splendide, et vous aussi.