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L’ÉBLOUISSANT ORAGE


L’aubépine s’égoutte, un pin est dépité,
Le buis charmant et dru comme un toit vert ruiselle,
Voici tout en lambeaux la robe de l’été,
Orage que ta grâce est puissante et cruelle.

Mais moi qui t’espérais en craignant de mourir,
Je ne me plaindrai pas de ce luisant désastre,
Que le baiser soit long après un tel désir,
Fais bondir sur mon cœur tous tes liquides astres !

Beauté des gouttes d’eau qui ravissent les yeux,
Étoiles de la pluie, ô petites abeilles !
Pépins d’argent, avec un goût délicieux,
Raisins d’azur glissant sur de mouvantes treilles,

Eau plus belle que l’air et que le firmament,
Clair de lune liquide, éparse chevelure,
Symbole du divin et doux apaisement,
Guérison de la soif et de toute brûlure,

C’est vous que je préfère, et vous que je choisis
Parmi tous les joyaux de l’univers qui chante.
Orage crépitez sur mon cœur cramoisi :
Tu vois comme l’éclat de ta force m’enchante,

Je te bois sur mes doigts, et d’un râle fiévreux
Je te reçois en moi, dans mon cœur qui défaille,
Comme on boit un sorbet fondu, sucré, mielleux,
Au travers d’une douce et lumineuse paille…