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SOIR D’ESPAGNE


Sur le bord de la mer, où le sel bleu des vagues
Mord l’azur d’un cuisant éclat,
Une usine répand des parfums doux et vagues
De cannelle et de chocolat.

Et puis c’est le désert une morne étendue
De fossés, de talus pelés
La cathédrale énorme est dans l’air suspendue,
Couleur d’or, de sucre brûlé.

De petits enfants bruns, comme de sombres anges
Mêlent leurs corps déshabillés
Dans les ruisseaux étroits où roulent des oranges,
Près des boutiques des barbiers.

Ô misère animale, active, triomphante,
Ô saveur de la pauvreté,
Sous le ciel des guerriers, des trônes, des infantes,
Dans le brasier bleu de l’été

Qu’importe à ces humains dont le cœur est farouche,
La chétive privation,
Ils ont leurs corps dansants, leurs bras ambrés, leur bouche,
Ils ont la sainte passion

Sur ces rocs désolés, où l’Océan se brise,
Où le destin les relégua,
Ils respirent la nuit, dans l’odeur de la brise,
Les beaux jardins de Malaga.