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SOIR D’ESPAGNE


Les verts camélias, sur la poudreuse route,
Ouvrent leurs blanches, roses fleurs,
Petits vases dormants dont nul miel ne s’égoutte
Malgré la sublime chaleur.

Mais les pourpres œillets aux flammes ténébreuses,
Aux pétales aigus, ardents,
Semblent déchiquetés par des mains amoureuses,
Par des ongles et par des dents ;

Et leur suave odeur, leur émouvante extase
Saturent l’éther vif et mol,
La cloche sonne au toit du clocher de topaze,
Ô langueur d’un soir espagnol !

Dans la rue un parfum de poisson cru s’exhale ;
Assis sous un auvent de bois,
Un bel adolescent fabrique des sandales,
Insouciant comme les rois.