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avec quoi elle se tuait. Elle prit un sombre plaisir à cette ardeur : elle goûtait sa folie. Les moindres détails de sa vie avec Philippe lui revenaient. Elle se souvint, le cœur crevé, d’un soir passé au quartier Latin, dans un cabaret où se trouvaient des étudiants, des ouvriers, des femmes tête nue.

Un artiste s’avançait, un camarade, mourant d’alcool, plein d’un talent misérable ; et il chantait de sa voix triste des chansons amoureuses, lâches, saoules et veules, intentionnées de vice et de candeur. Sur la mélodie languide, élastique et moite, la poésie disait l’éternel besoin, l’odeur des peaux amoureuses, les lits dans l’herbe, la jalousie et le couteau.

Et cela coulait des racines attendries de la vie.

Sabine se souvenait qu’elle avait écouté avec un grand trouble du corps, émue par le désir populaire qui mord aux lèvres comme au pain, regardant autour d’elle ces pauvresses, qui écoutaient aussi, – égalité de l’amour et de la mort ! – qui écoutaient doucement et bravement, ayant dépassé tous les risques du baiser…