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la faire manger sous la nuit bleue avec des insectes sur la table, cela l’amusait. Elle revoyait gaiement, sur les nappes des restaurants, s’étaler les habituels hors-d’œuvre : les petites tranches de tomates crues, vives comme de la chair, les céleris qu’on devinait craquants comme des joncs et gardant le goût de la terre, les olives roulées autour de leurs noyaux, et tous les petits poissons d’argent, étranglés de poivre.

On se passait ces plats d’attente, tandis que la musique de Bohême ou de Naples jouait.

Un musicien, le chef, menait l’orchestre de son geste, riait en prestidigitateur de la réussite des mélodies, montait et abaissait d’un signe les tons des violons et témoignait d’une connaissance rusée du plaisir des nerfs.

Le visage accéléré de fièvre, Sabine goûtait passionnément ces romances molles, qui, sur les cordes glissantes des violons, faisaient déraper son âme du plaisir à la langueur.

Mais comme elle se fatiguait !…

Était-elle faite pour cette vie sans halte intérieure, dans les décors clinquants des cabarets de verre ?