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que la plus légère fraction du temps eût suffi à diviser sa vie, à la couper en deux, à mettre dans le passé les seuls moments de bonheur qu’elle eût eus, de quel amer bonheur, pourtant ! et, de l’autre côté, dans l’avenir, la douleur, la plaine basse, morne, et indéfinie…

Elle se lamentait ; l’amitié de Pierre, qui ne pouvait rien, se troublait de voir ces larmes. Ils étaient harassés l’un comme l’autre.

De force, pour qu’elle goûtât un peu d’air, il l’emmena dans le jardin. Elle était étonnée de tout ce qu’elle voyait. Elle ne comprenait pas pourquoi il y avait des roses sur les rosiers, des roses tranquilles et belles, lourdement balancées sur les tiges épineuses ; le soir descendait sur les chemins, s’appuyait aux feuillages, les pénétrait de son baiser triste et doux. Toutes ces parcelles de la beauté faisaient mourir Sabine au dedans de son être… Pourquoi ces fleurs, ces odeurs, ces grâces du soir, ce bruit d’argent de l’eau retombant dans le bassin, puisque l’homme et la femme étaient ennemis ?

Elle vit passer une fille de la campagne, qui traversait le jardin, tenant sa serpe et son arrosoir. Celle-