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Vous que tout l’univers ressent, contient, propage,
Qui rajoutez à l’air des sons et des parfums,
Se peut-il qu’en ce havre offensant et défunt,
Vos navires dorés aient leur sombre amarrage !

Inventeur de la phrase où chaque mot surprend,
Comme si le langage avait su vous attendre
Pour élancer sa fleur aiguë, amère ou tendre,
Et créer des pays aux rêves odorants,

Donateur torturé qui dotiez la nature,
Et sans qui les humains ignoreraient encor
L’emmêlement du monde avec la créature,
Et l’éclat soupirant des magiques décors,

Ô poète, brûlé par l’azur et les braises
Des climats chaleureux et des vœux pantelants,
Vous dont le rythme songe, onctueux, net et lent,
Comme les calmes pas de la Malabaraise,

Esprit le plus tenté, esprit le plus blessé
Parmi ceux que l’énigme et que le sort offensent,
Nous groupons près de vous, immense descendance,
Les cœurs voluptueux, déçus ou délaissés !