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paraissait alors incapable d’écrire, et le moindre entretien la comblait de fatigue. N’importe ! avec une énergie inconcevable, surnaturelle, elle se mit à improviser, tout haut, les pièces inédites sur lesquelles se terminent maintenant ses Derniers vers. Des mains pieuses les notaient à mesure, et ces dictées se poursuivirent, sans trop d’intervalles, jusqu’aux suprêmes journées de mars. La voix du poète, incertaine pour les propos usuels, retrouvait soudain une étonnante vigueur pour les concerts subtils de l’idée et du langage. Par un phénomène trop rare dans l’histoire de l’esprit, l’inspiration, en cette merveilleuse rencontre de la poésie avec la mort, semblait persévérer au delà du souffle même, le chant survivre mystérieusement à la parole. Jusqu’au bord de la nuit définitive, aussi longtemps que la voyageuse n’eut point achevé sa sombre route, ceux qui l’assistaient fidèlement, espérant contre tout espoir en un miracle des forces vitales, pouvaient encore la suivre à ce sillage de flamme.