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la revue de paris

sainte dans un sentiment de piété. Par un matin favorable au décor des altitudes bleues comme la gentiane et nettement découpées sur un ciel argenté, je fis un pèlerinage respectueux, sinon dévot. N’ayant point espéré, je ne fus point déçue. La vierge de Lourdes, en plâtre colorié, les pieds ornés de roses et non point posés sur l’arabesque irritée de l’antique serpent, me plut par sa simplicité de fée rustique, que l’on fêtait dans la grotte bénie, par une humble moisson de béquilles : hymne éloquent de reconnaissance, attestation de la puissance de la foi, de l’action de l’esprit sur le corps, que jamais je ne songerai à nier. Dès mon retour à Paris, un bonheur que je n’avais pas encore envisagé transfigura mes jours. Ma sœur, qui avait exercé avec intelligence et vigueur sa domination sur le cerveau troublé et désormais soumis de mademoiselle Pierre, me témoigna une tendresse impulsive que jusqu’alors elle n’avait pas révélée. Si deux êtres du même sang, chez qui tout a tendance à la parité, se font soudain totalement confiance, ne mettent aucun obstacle à ce commun torrent ancestral qui Ies entraîne sur la même pente, ils obtiennent dans l’amitié une perfection à laquelle nulle autre ne se peut comparer. Leur esprit jumelé, la substance identique qui compose leur être charnel, un rythme semblable dans l’éducation créent un double et perpétuel écho. Nous vécûmes dans un constant partage ; je jouissais de tout de moitié avec elle, échangeant et possédant ainsi l’entier de chaque chose. Nos lectures, nos observations, nos certitudes, allaient d’un pas égal. Ce qu’il y avait de différent en chacune de nous prenait plaisir à se modifier, à s’inonder de clarté pour être par l’autre adopté. L’aptitude à la limpide confidence était née en nous deux. Nous fûmes chacune déchargée de cette solitude de l’individu qui est le véritable obstacle à la joie, à l’oubli des soucis, à l’acceptation de l’adversité. Un sens pareil de l’observation, de la délicatesse et du comique, une sensibilité différenciée principalement par des nuances de vocabulaire nous permettaient de ressentir et de décrire ensemble tout ce qui frappait notre vue et notre cœur. Nous étions deux jeunes glaneuses qui portent ensemble la corbeille où elles ont jeté la récolte du chemin, qu’elles se disposent à trier dans la douce intimité. Nous connûmes la gaieté épa-