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la revue de paris

immédiatement que la sympathie extrêmement galante que je lui avais dès l’abord inspirée ne s’était pas éteinte en lui. La table à thé, le vase de fleurs gracieusement disposées par mademoiselle Ehmsen ne paraissaient pas l’intéresser. Les prévenances de la duègne semblaient, au contraire, le mettre mal à l’aise. Mélancolique depuis plusieurs semaines, dans cet hôtel, dont les larges fenêtres laissaient voir un paysage brillant, composé de prairies onduleuses et des flots du gave bruissant, que souvent le soleil d’onze heures rendait exaltants, je m’étais patiemment ennuyée, non faiblement, mais avec une puissante rêverie. À personne je n’avais pu confier ma tristesse, que mademoiselle Ehmsen, quand elle en remarquait la présence, croyait chasser d’un baiser furtif, accompagné de quelques axiomes stoïques et chrétiens, à l’usage de la jeunesse.

En cet après-midi de dimanche, j’eus le pressentiment qu’une diversion, dont je ne m’exagérais pas la valeur, allait m’être offerte. Notre visiteur était chez nous depuis peu de temps, lorsque je devinai que seule l’absence de Fräulein Ehmsen me laisserait entendre des paroles passionnées, dont j’eus soudain comme un besoin avide. Avec astuce, je la priai de bien vouloir faire une réclamation au portier ; ce que l’innocente et aimable créature accepta de bon gré, disparaissant par la porte, légère comme l’oiseau. C’est alors que le vieil homme dispos, ne pouvant contenir son aveu, me fit écouter les déclarations les plus ardentes, avec une qualité d’épithètes qu’évidemment je n’avais pas pu soupçonner, si bien que le retour de Fräulein Ehmsen me combla de satisfaction. Mais dès que je fus en sécurité, je ne regrettai point d’avoir entendu des phrases enflammées, dont l’essence et l’écho me baignaient de plaisir.

Le soir, lorsque s’établit la tranquille atmosphère qui présidait d’ordinaire à notre dîner modeste, je ne pus m’empêcher de révéler à Fräulein Ehmsen mon aventure de l’après-midi. Absolument convaincue de l’impossibilité d’une si répréhensible conduite chez celui qu’elle avait appelé un oncle, et dont l’apparence et la situation sociale, dont elle tenait toujours compte, lui avaient inspiré le plus sûr respect, elle demeura un long moment incrédule. Son honnêteté pré-