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adolescence

point, de minces branches du pâle lilas de février, — de même je ne concevais pas que les puissants attraits de l’existence n’eussent pas le pouvoir de recouvrir la souffrance quotidienne. J’intimais aux épuisantes insomnies, à cette torturante inimitié de nous-mêmes envers nous-mêmes qu’est la lésion de la profondeur du corps, l’ordre de m’être asservies. Mais les médecins s’inquiétèrent de mon apparence chaque jour plus altérée, et une sorte de bataille s’institua entre eux pour savoir de quelle manière, sans s’aventurer jusqu’à l’operation, pourtant seule raisonnable et que je réclamais, on pourrait me venir en aide.

Quand l’être humain est libre, en âge de décider de son sort, et que la vigueur de la pensée lui permet de recourir aux bienfaits des résolutions réfléchies et rapides, il se réjouit d’engager le combat. J’ai dit récemment à l’un de mes compatissants médecins, — et je révère en eux tous mes plus indispensables amis : « Si un malade vous appelle à son chevet, consultez-le… » Cette collaboration de celui qui souffre avec celui qui s’efforce de guérir est interdite à l’enfant, à l’adolescent. L’homme qui a traversé une longue part de la vie en secourant par sa science et ses décrets des créatures à l’abandon est enclin à négliger ce que tout organisme énergique possède de connaissance de soi, d’infaillible inspiration. Il se peut que ceux qui nous voient le plus souvent et nous aiment le plus tendrement n’entendent pas nos voix, — ces voix qui déjà nous viennent d’ailleurs, comme Jeanne d’Arc, contemplative, les percevait dans la fluidité de l’horizon natal.

Qui dira le miracle du sauvetage des jeunes êtres livrés à l’opinion et aux décisions d’un groupe familial toujours inadapté à eux, et dont ils parviennent à atténuer l’action par la philosophie intime et chuchottante de l’extrême jeunesse, par la bravoure perspicace qui les anime et leur fait choisir impérieusement l’antidote d’autrui, comme aussi par cette résignation si touchante qui ressemble au sommeil salutaire et reconstituant des fakirs. La soumission qu’obtient difficilement mais fermement de soi l’être très jeune donnne la mesure de sa constance dans le sentiment de l’honneur et de la fierté. Réservée dans mes plaintes, je m’appuyais sur l’amitié puissante des mots, je leur obéissais. Au pied