Page:Noa noa - 1901.djvu/96

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
95
NOA NOA

m’aider pour avancer, passant de branche en branche à la force des poignets en touchant à peine et rarement le sol.

Du fond de l’eau, des écrevisses d’une taille extraordinaire me regardaient, semblant me dire : Que viens tu faire ici ? — et des anguilles séculaires fuyaient à mon approche.

Tout à coup, à un détour brusque, j’aperçus, dressée contre la paroi du rocher qu’elle caressait, plutôt qu’elle ne s’y retenait, des deux mains, une jeune fille, nue. Elle buvait à une source qui jaillissait silencieusement de très haut dans les pierres. Quand elle eut fini de boire, lâchant le rocher, elle prit de l’eau dans ses mains, et se la fit couler entre les seins. Puis — je n’avais pourtant fait aucun bruit — comme une antilope peureuse qui, d’instinct, devine, évente l’étranger, elle pencha la tête, scrutant le fourré où je me tenais immobile. Mon regard ne rencontra pas le sien. À peine m’eut-elle aperçu qu’aussitôt elle plongea, en criant ce mot :

Taëhaë (féroce) !

Précipitamment je regardai dans la rivière : personne, rien — qu’une énorme anguille qui serpentait entre les petits cailloux du fond.

Non sans difficulté ni fatigue, je parvins enfin tout près de l’Aroraï, le sommet de l’Ile, la montagne formidable et sacrée.

C’était le soir, la lune se levait, et, en la regardant qui