Page:Noa noa - 1901.djvu/53

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
52
NOA NOA

la rencontre des courbes, et sa bouche avait été modelée par un sculpteur qui sait mettre dans une seule ligne en mouvement toute la joie et toute la son fiance, mêlées.

Je travaillais en hâte, me doutant bien que cette volonté n’était pas fixe, en hâte et passionnément. Je frémissais de lire dans ces grands yeux tant de choses : la peur et le désir de l’inconnu ; la mélancolie de l’amertume, expérimentée, qui est au fond du plaisir : et le sentiment d’une maîtrise de soi, involontaire et souveraine. De tels êtres, s’ils se donnent, semblent nous céder : c’est à eux-mêmes qu’ils cèdent. En eux réside une force contenue de surhumaine — ou peut-être de divinement animale essence.

Maintenant, je travaillais plus librement, mieux.

Mais ma solitude m’était à charge.

Je voyais bien des jeunes femmes, dans le district, bien des jeunes filles à l’œil tranquille, de pures Tahitiennes, et quel qu’une d’entre elles eût volontiers peut-être partagé ma vie.

— Je n’osais les aborder. Elles m’intimidaient vraiment, avec leur regard assuré, la dignité de leur maintien, la fierté de leur allure.

Toutes, pourtant, veulent être « prise », prises littéralement (maü, saisir), brutalement, sans un mot. Toutes ont le désir