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NOA NOA

Un peu plus tard, l’homme passa devant ma case, et, en souriant, sans s’arrêter, me dit, sur le ton interrogatif :

Païa ?

Je devinai : « Es-tu satisfait ? »

Ce fut, entre ces sauvages et moi, le commencement de l’apprivoisement réciproque.

« Sauvages ! » Ce mot me venait inévitablement aux lèvres, quand je considérais ces êtres noirs, aux dents de cannibales. Déjà, pourtant, j’entrevoyais leur grâce réelle, étrange… Cette petite tête brune aux yeux placides, contre terre, sous des touffes de larges feuilles de giromon, ce petit enfant qui m’étudiait à mon insu, un matin, et qui s’enfuit quand mon regard rencontra le sien…

Ainsi qu’eux pour moi, j’étais pour eux un objet d’observation, un motif d’étonnement : l’inconnu de tous, l’ignorant de tout. Car je ne savais ni la langue, ni les usages, ni même l’industrie la plus initiale, la plus nécessaire. — Comme chacun d’eux pour moi, j’étais pour chacun d’eux un sauvage. Et, d’eux et de moi, qui avait tort ?

J’essayais de travailler : notes et croquis de toutes sortes. Mais le paysage, avec ses couleurs tranches, violentes, n’éblouissait, m’aveuglait. J’étais toujours incertain, je cherchais, je cherchais…


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