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NOA NOA

l’instant où je m’agite, dans ma chair heureuse et dans mon esprit ébloui. À me contenter de ce domaine et à bien jouir de lui, je mériterai d’atteindre une station plus haute, horizontale elle aussi, et, de stations en stations, ascendantes toutes et chacune horizontale, à l’infini où sont tous les secrets je retournerai.

De ce sommet de la Terre Délicieuse, que j’ai pitié, quand ces ressouvenir m’importunent, aux compliqués soucis d’avenir où se fatigue l’importance citadine et d’Europe, sans éclat, que celui, morne, du métal, sans richesse, que celle-là, creuse, et la rime des monnaies, vile fanfare de temps qui passe, de temps passé, sans que rien, hors cette ritournelle, ait marqué l’affre ou le délice du passage. Comme elle a perdu le sens de l’éternité, l’Europe ignore le présent. L’activité des hommes s’y consume dans la préoccupation de l’insaisissable demain, et, quand ils ont un peu de répit, le passé, qu’ils n’ont pas vécu sous les seules espèces vitales du présent, ressuscite, aigri de ; rancunes, dans leur pensée brûlée de regrets. Regrets et remords, espoirs et désirs : ils furent et ils seront. Ils ne sont jamais.

Moi, maintenant, dans la Terre Délicieuse, vraiment Moi maintenant, je vénère les menues péripéties quotidiennes et leur signification profonde. Avec simplicité je jouis de la lumière pendant qu’elle brille. Moi, maintenant, je sais vivre.