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NOA NOA

prise, et plus tard, c’eût été bien tard. Aujourd’hui, je la comprends comme je l’aime, et par elle je pénètre enfin dans des mystères qui, jusqu’ici, me restaient rebelles. Mais, pour l’instant, mon intelligence ne raisonne pas encore mes découvertes, je ne les classe pas dans ma mémoire. C’est à ma sensibilité que Téhura confie tout ce qu’elle me dit. C’est dans mes sensations et dans mes sentiments que je retrouverai, plus tard, ses paroles inscrites. Elle me conduit ainsi, plus sûrement que je n’y pourrais parvenir par toute autre méthode, à la pleine compréhension de sa race, — par l’enseignement quotidien de la vie.

Et je n’ai plus conscience des jours et des heures, du mal, du bien. Le bonheur est si étranger au temps qu’il en supprime la notion. Je sais seulement que tout est bien, puisque tout est beau.

Et Téhura ne me trouble pas du tout, quand je travaille ou quand je rêve. D’instinct, alors, elle se tait. Elle sait très bien quand elle peut me parler sans me déranger, — et nous causons d’Europe et de Tahiti, et de Dieu, et des Dieux. Je j’instruis. Elle m’instruit.

Je fus obligé d’aller pour un jour à Papeete.

J’avais promis de revenir le soir même ; mais la voiture que je pris me laissa à moitié route, je dus faire le reste à pied et il était une heure du matin quand je rentrai.