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Un point m’inquiétait. Comment Téhura (ainsi se nommait ma femme) avait-elle deux mères ?

J’interrogeai donc celle qui, la première, me l’avait offerte :

— Pourquoi m’as tu menti ?

La mère de Téhura me répondit :

— Je n’ai pas menti. L’autre aussi est sa mère, sa mère nourricière.

À Taravao, je rendis au gendarme son cheval, et là se produisit un incident désagréable. La femme du gendarme, une Française, sans malice, mais sans finesse, me dit :

— Comment ! vous ramenez : avec vous une « gourgandine » ?

Et ses yeux furieux déshabillaient la jeune fille, qui opposait une indifférence altière à cet injurieux examen.

Je regardai, un instant, le spectacle symbolique que m’offraient ces deux femmes : la floraison nouvelle et la saison stérile, la foi et la loi, la nature et l’artifice. C’étaient aussi deux races en présence, et j’eus honte de la mienne. Je souffris de la voir si petite et si intolérante, si incompréhensive, — et je m’en détournai vite pour réchauffer et réjouir mon regard à l’éclat de l’autre, de cet or vivant que j’aimais déjà.

Les adieux de famille se firent à Taravao, chez le Chinois, qui là vend de tout, des liqueurs frelatées et des fruits, des