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Mon père m’a parlé d’un autre bonhomme qui regardait partout autour de lui, avec inquiétude, pour vous dire, très bas : « Bonjour, Monsieur, comment vous portez-vous ? »

Ces bonnes gens m’apparaissent aujourd’hui comme des personnages particuliers à ce temps-là, et que ni l’histoire, ni le roman, ni le théâtre n’ont, je crois, jamais peints.

Devant le père Germain — c’était son nom — si l’on faisait allusion au roi régnant Louis XVIII ou à Bonaparte, si l’on parlait des batailles de la République ou de l’Empire, si l’on s’entre-communiquait à voix basse, mystérieusement, quelque nouvelle du prisonnier de Sainte-Hélène, on voyait frissonner le pauvre vieux, comme si déjà sa tête était menacée.

Mais ce que je me rappelle surtout du père et du fils Germain, c’est leur jardin. Passionnés de culture florale, ils n’avaient malheureusement qu’une cour sombre, humide et glaciale, que jamais n’égayait le soleil. C’est de cette cour qu’ils avaient fait leur jardin. J’y voyais les plantes s’allonger, s’étioler, prendre un aspect absolument différent des mêmes plantes cultivées chez nous en plein air. Un genêt d’Espagne me navrait par ses attitudes ; il avait perdu la faculté de fleurir ; visiblement, il ne pouvait vivre longtemps ; en le voyant ainsi languir, je pensais au fils Chastel.