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qu’un penseur est opposé à la liberté réelle de l’homme, il est impossible de tirer qu’il soit son ennemi, le destin humain pouvant consister dans la liberté idéale et dans la servitude réelle. Mais je dis seulement que je n’aime pas la position de sujet : je ne demande pas à la Raison si j’ai raison. Bien que je croie que mes contradicteurs aient tort, objectivement tort comme ils disent dans leur jargon.

Je partage après tout l’intuition de la nature, des animaux. Je ne croirai jamais que le destin des hommes soit une vie où tous leurs pouvoirs naturels sont offensés, où sont étouffées toutes les tentations humaines. C’est ce que dit Marx dans le Manifeste, si ce livre est bien lu. Il le redit dans la Sainte Famille, bien que les austères savants bourgeois trouvent simplement amusante l’analyse du personnage de Fleur de Marie. C’est là la philosophie des exploités.

Nos maîtres dans les Écoles nous ont appris que toute suite de pensées débute par des positions de postulats. Nous ont-ils assez rebattu les oreilles avec le coup de génie d’Euclide sur le sujet des parallèles ? Nous sommes-nous assez émerveillés devant Riemann et Lobatchevsky ? Nous aurons donc notre postulat, et nous n’avons aucune envie de le démontrer : M. Brunschvicg lui-même nous a enseigné que le fin du fin consiste à ne pas essayer de telles démonstrations, mais nous le sentons jusque dans nos jambes et dans notre peau. Cette affirmation sort de nos corps et de la place que nous tenons dans ce monde ruiné, où le progrès de la Conscience ne nous fait plus désormais illusion, et non des tables de corrélation, des nombres transfinis et du calcul des matrices. Le pouvoir veut passer à l’acte ; ce qui peut être veut se réaliser. Nous nous sentons assurés que les philosophies présentes sont fausses, parce que celle qui leur est opposée nous est