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Ils n’ont ni le temps, ni le goût ni les moyens logiques de démontrer aux philosophes de leur temps que leurs philosophies sont contradictoires avec une Philosophie Éternelle à laquelle ils ne sauraient croire. Ils n’ont aucunement conscience d’une pareille contradiction historique. Mais ils sont avertis de cette contradiction historique entre ce que la Philosophie bourgeoise promet et ce qu’elle tient. Mais ils donnent leurs huit jours aux philosophes qui sont faux, non au regard de la Philosophie mais des hommes, aux philosophes dont la fausseté n’est pas une défaillance technique intérieure à la Philosophie, mais un attentat réel contre la vie des hommes.

On en revient toujours à la grossière idée des Fils de la Terre qui jugent par les conséquences effectives et non par les principes et les engagements formels des Idées. La plus abstraite des pensées organisées au sein d’un système comporte, en dépit même de l’esprit qui la produit, des conséquences et des suites concrètes : elle ne fait pas partie de la Science qui décrit avec toutes les approximations, toutes les délicatesses possibles, son objet.

La biologie décrit les phénomènes du corps comme la physique fait ceux des pierres qui tombent. Elle ne souhaite point que son objet soit autrement disposé qu’il n’est, elle ne se réjouit pas non plus qu’il soit ce qu’il est, ni ne s’efforce qu’il devienne autre, elle ne réprouve ni n’approuve. Mais la Philosophie, si glacée que soit son apparence, si guindée que soit son allure fait toujours cela, elle dit précisément toujours : il faut que cela se fasse, tout est bien ainsi, tout est mal ainsi, l’homme ne peut plus continuer dans la voie où il est présentement engagé. Elle souhaite, elle craint, elle espère. Volontés prudentes, timides, hypocrites ou bien hardies, claires, violentes, mais toujours volontés. Espoirs, vœux, prescriptions.