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Un chômeur, un manœuvre, non. Mais ces hommes n’oublieront pas éternellement leur indigence, leur douleur et leur humiliation. Ils ne seront pas indéfiniment dupés par les grands appareils d’illusions, les décors artificiels à l’abri desquels la bourgeoisie maintient son impitoyable pouvoir.

Ainsi toute cette philosophie sert à voiler les misères de l’époque, le vide spirituel des hommes, la division fondamentale de leur conscience, et cette séparation chaque jour plus angoissante entre leurs pouvoirs et la limite réelle de leur accomplissement. Elle dissimule le vrai visage de la domination bourgeoise. Elle ne sert point le vrai qui n’existe pas, l’universel qui n’existe pas, l’éternel qui n’existe pas, mais la lutte contre une indignation et une révolte qui se font jour. Elle sert à détourner les exploités de la contemplation périlleuse pour les exploiteurs, de leur dégradation, de leur abaissement. Elle a pour mission de faire accepter un ordre en le rendant aimable, en lui conférant la noblesse, en lui apportant des justifications. Elle mystifie les victimes du régime bourgeois, tous les hommes qui pourraient s’élever contre lui. Elle les dirige sur des voies de garage où la révolte s’éteindra. Elle sert la classe sociale qui est la cause de toutes les dégradations présentes, la classe même dont les philosophes font partie. Elle a enfin pour fonction de rendre claires, d’affermir et de propager les vérités partielles engendrées par la bourgeoisie et utiles à son pouvoir.

Toute cette vie parasitaire de la philosophie est dirigée contre les hommes placés par les hasards de leur naissance ou de leur vie en dehors des frontières bourgeoises. Les besoins humains, les destins humains sont désormais