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rieur. Combien d’hommes dans le monde présent doivent assurer leur vie avant leur âme ! Quelle amère et insolente dérision dans le propos de M. Brunschvicg pour cet homme par exemple qui disait au correspondant de l’Humanité :

« Je suis chômeur depuis quatre mois. Je reçois chaque semaine quarante-deux francs de secours de chômage. Je paie trente francs de chambre. Je dois vivre avec dix-sept francs pendant sept jours. Je n’ai pas tous les jours du pain. »

Ils peuvent bien parler de l’exaltation de la personne humaine, ordonner à l’homme d’être une Personne. Ils peuvent bien parler de la libération de l’âme et du dépassement de soi-même. « L’homme veut se réaliser comme un esprit dans un effort de libération croissante », dit M. Le Roy. Mais Marx disait : « Il n’est pas loisible à la masse de considérer les produits de sa propre aliénation comme des fantasmagories idéales, ni de vouloir anéantir l’aliénation matérielle par l’action spirituelle et purement intérieure.

…Pour se délivrer il ne suffit pas de se lever en esprit et de laisser planer sur sa tête réelle et sensible le joug réel et sensible qui ne se laisse pas détruire par de simples idées. La critique absolue a appris l’art de transformer les chaînes réelles, objectives et extérieures à ma personne, en chaînes purement idéales, subjectives et intérieures, et de muer toutes les luttes extérieures et sensibles en simples luttes idéales. »[1] Les hommes qui vivent sur la terre reconnaîtront les paroles de Marx, et non celles des fantômes.

M. Brunschvicg, dans le silence distingué de sa rue, peut rêver avec une molle et doucereuse inquiétude aux problèmes de son salut intérieur.

  1. La Sainte Famille, ch. VI.