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phie qui fournit à la bourgeoisie ses justifications dialectiques.

F. Nieztsche avait déjà bien vu qu’une société commerçante doit fuir les occasions de vivre et de penser dangereusement :

« Mode morale d’une société commerçante — Derrière ce principe de l’actuelle mode morale : les actions morales sont les actions de la sympathie pour les autres, je vois dominer l’instinct social de la crainte qui prend un déguisement intellectuel : cet instinct pose comme principe supérieur le plus important et le plus prochain qu’il faut enlever à la vie le caractère dangereux qu’elle avait autrefois et que chacun doit aider à cela de toutes ses forces. C’est pourquoi seules les actions qui visent à la sécurité générale et au sentiment de sécurité de la société peuvent recevoir l’attribut bon. »

La sympathie, la paix entre les divers éléments de la société sont requises dans un régime qui ne se refuse pas à la guerre, mais ne l’envisage tout de même que comme un moyen relativement désespéré. M. Brunschvicg a trouvé de plus subtils moyens que l’impératif de la sympathie pour justifier la concorde entre les hommes.

« Xantippe était une femme désagréable qui parlait fort mal à son fils Lamproclès. Socrate fait comprendre à Lamproclès qu’il n’est pas un individu placé en face d’un autre individu réagissant à son égard suivant l’impulsion de la nature. Il est un fils qui réfléchit sur les bienfaits qu’il a reçus de sa mère et qui ne peut pas, une fois qu’il a compris cela, ne pas apercevoir et régler sa conduite du point de vue de la mère. Les progrès de l’intelligence spéculative et de la conscience morale vont de pair si l’on suit à travers les siècles le développement de cette fonction de relativité qui permet à l’homme de franchir les bornes de son individualité pour