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bles de trouver à leurs actes des raisons de valeur universelle. »[1]

C’est ainsi que le penseur bourgeois, depuis le temps qu’il existe un ensemble des valeurs bourgeoises, s’efforça de les bien lier, de les justifier, de leur trouver des principes supérieurs qui pussent leur conférer une certitude analogue à celle des démonstrations et des découvertes des sciences. Tout le travail du XVIIIe siècle, tout le travail du kantisme manifestent cet effort de la pensée bourgeoise cherchant à se donner des titres. Quand les idées bourgeoises furent regardées comme les productions d’une Raison éternelle, quand elles eurent perdu le caractère chancelant d’une production historique, elles eurent alors la plus grande chance de survivre et de résister aux assauts. Tout le monde perdit de vue les causes matérielles qui leur avaient donné naissance et les rendaient en même temps mortelles. La philosophie d’aujourd’hui poursuit cet effort de justification. Elle continue à employer à ses fins le mouvement des sciences. La fonction du kantisme fut de justifier la morale bourgeoise en faisant d’elle la fille d’une Raison législatrice de l’astronomie. La fonction de la philosophie de M. Brunschvicg est de justifier cette morale à l’aide des prestiges qui s’attachent à la mathématique d’Einstein. À l’abri de la science, la pensée bourgeoise justifie ses inventions et oublie qu’elles sont mortelles. Elle attend moins de la science des solutions directes que des allures et comme un déguisement. Elle cherche dans la science un pouvoir rationnel, capable de fonder les sciences et d’instituer les morales. Il n’est pas question de tirer de la science des impératifs qu’elle ne saurait donner, mais d’imiter son élan, de copier l’ardeur rationnelle manifestée par la pensée des

  1. Bulletin de la Société Française de Philosophie, 1929.