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vent en effet les esclaves et les égarent sur des voies où se dissipe leur révolte.

Il n’est pas nécessaire de croire pour le combattre que M. Brunschvicg est un perfide et un méchant. De croire qu’il a conçu avec toute la clarté possible, armé d’une ruse plus subtile encore que ses pensées, une philosophie telle qu’elle protège sa fortune personnelle et assure le pouvoir du Comité des Forges ou du Comité des Houillères. Il possède comme personne privée de plus efficaces, de plus brutaux moyens de protection que l’ensemble de ses livres. La composition de son portefeuille que je m’accommode aisément d’ignorer n’explique pas directement la formation de sa philosophie. Il est beaucoup trop simple de penser qu’un penseur propriétaire d’actions des Charbonnages du Tonkin liera au cours de ces actions une théorie spéciale de la Vérité, du Souverain Bien ou des représentations collectives. Les idéologues n’ont pas avec la vie économique bourgeoise des relations assez précises de direction pour se préoccuper d’abord de justifier directement un certain système économique. Cette justification incombe aux politiques. Les hommes qui justifieront le Comité des Forges seront plutôt M. François-Poncet ou M. Gignoux que M. Lalande ou que M. Roustan. Le métier de M. Parodi n’est pas de fournir ses preuves au Consortium Textile de Roubaix.

Il ne faut point se hâter de juger que l’attitude des clercs cache une connaissance distincte des fins que leur classe poursuit. Mais plutôt, comme il est moins commode de penser, une illusion difficilement séparable des conditions mêmes où s’exerce le travail de la pensée dans la tête du penseur.[1]

En effet, la réalité d’une classe ne se compose pas seulement de relations économiques. Elle

  1. Cf. note J.