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Seulement, je me heurte à l’existence de M. Bergson et aux masses de sa philosophie, comme elles sont, comme à des tables au coin desquelles je me heurte dans la nuit. M. Bergson m’empêcha d’aller aussi promptement, aussi sûrement que je voulais, là où j’avais dessein d’aller. Je demande aujourd’hui que M. Bergson soit jugé comme un obstacle et non comme l’Esprit du Mal est jugé par un prêtre. Quand serons-nous délivrés des chrétiens de leurs confessionaux, de leurs péchés et de leurs examens de conscience ?


M. Brunschvicg peut répondre à une attaque qu’elle n’est pas juste, qu’il fallait l’estimer sur ses intentions qui sont pures, sur sa probité intellectuelle qui est grande, sur son désintéressement qui n’a pas de limites. Et en effet, M. Gabriel Marcel, qui n’est pas brunschvicgien, m’approuvant de dénoncer « la pauvreté essentielle », « la carence tout ensemble métaphysique et humaine » de l’enseignement de la Sorbonne, me reprit de « diriger contre Léon Brunschvicg dont la probité et le profond désintéressement ne peuvent être contestés sans mauvaise foi, les attaques personnelles les plus basses ». Mais il faut que M. Marcel et ses semblables entendent que ces vertus personnelles, que ces intentions généreuses n’entrent précisément pas en ligne de compte. Leur présence ne transforme pas la fonction essentielle que M. Brunschvicg accomplit. Il n’y a aucune raison pour que je partage les illusions que les philosophes se font sur le sens de leur activité, à l’heure où il s’agit uniquement de l’effet de leurs écrits, de la conséquence de leurs productions, de cet effet, de cette conséquence qui n’émanent pas de leur être intérieur. Il est justement indifférent que M. Léon Brunschvicg se réveille chaque matin avec une bonne haleine et une bonne conscience :