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Ainsi les philosophes, au milieu de leurs substitutions, de leurs métamorphoses, de ces trames de mirages qu’ils tendent, de ce jeu que l’idéalisme toujours jouera, prophétisent l’avènement des Idées salutaires. Exhortant à la Justice, à la Générosité, à l’Amour, ils fournissent moyennant le salaire que la bourgeoisie leur sert, les armes spirituelles, les justifications que requiert son maintien.

N’osant s’avouer ni avouer les fins qu’elle poursuit, la bourgeoisie, hantée par les craintes qu’elle éprouve et par les derniers scrupules d’un libéralisme éteint, arrange le désordre et les menaces qui la troublent, en cachant derrière les promesses qu’elle fait les activités qu’elle déploie. Ses effusions généreuses, elle sait bien qu’elles contribuent à son affirmation temporelle. Ainsi lisait-on dans un numéro du Temps colonial.

« La politique indigène ne doit pas oublier que son but principal est l’homme. Une grande politique nourrie d’humanité, loin de desservir les buts utilitaires, que nous ne devons pas perdre de vue, en rendra l’atteinte plus facile et plus sûre. »

On lit dans un sermon de Massillon :

« On voit prospérer tous les jours les familles charitables : une Providence attentive préside à leurs affaires et là où les autres se ruinent, elles s’enrichissent. »

Permanence de la philosophie bourgeoise.

Il n’est pas question de conclure de la situation, de la fonction de la Philosophie à je ne sais quelle responsabilité, quelle intention morale du philosophe. Je vois simplement certaines façons de philosopher : elles ne violent pas une Idée unique de la Philosophie. Une Idée éternelle de la Philosophie. Elles ne sont