Page:Nizan - Les Chiens de garde (1932).pdf/61

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cette vie n’est point tragique ni difficile. Cette vie ne pose point les problèmes les plus sévères. On ne saurait faire grief à l’homme qui la mena, qui fut mené par elle là où il est, de n’avoir point pensé à défendre les hommes qui ne jouent pas aux Champs-Elysées.

Il est impossible à cette pensée bourgeoise d’aller droit au problème vulgaire. Elle ne l’aborde qu’à peine. Elle ne forme qu’une connaissance par ouï dire, une pauvre connaissance du premier genre. Elle ne l’éprouve point avec son exigence et son inquiétude et son poids. Elle ne cherche point à le posséder. Elle s’accommode passivement de sa lointaine présence.

Mais il se peut encore qu’elle évite à dessein et non plus seulement par ignorance et pauvreté d’information de faire entrer en jeu ces questions difficiles. Il se peut qu’elle redoute d’être emportée vers des eaux dangereuses et préfère le calme à l’exercice le plus éminent de la pensée. Elle a une certaine timidité. Elle n’ose aller chercher là où ils sont posés, des problèmes, capables finalement de la menacer. De tenir en échec sa puissance. Car elle sent que ces problèmes sont posés quelque part. Dans les quartiers où les philosophes ne résident pas. Dans les pays où leur sagesse ne s’enseigne pas. M. Benda qui juge ses confrères du fond d’une éternité peut-être moins suspecte que la leur sait que les philosophes redoutent les pensées dangereuses. E. Berl le sait aussi. Notre temps est une de ces époques denses où les pensées humaines engagent plus que la pensée. Quiconque veut penser aujourd’hui hu-