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Il se complaît dans des détours où il reconnaît la part que ses pères ont prise à l’histoire générale de la société. Activement et non passivement. En maîtres et non en serviteurs. Il sent que ses pères ont été, comme dit le dicton, depuis longtemps du côté du manche. Un bourgeois frappé au titre véritable de la bourgeoisie trouve dans la mémoire familiale les traces d’un arrière grand-père conseiller général, officier, chef de bureau, juriste, avocat, notaire, professeur. Il connaît que ses ascendants ont été plusieurs générations durant, initiés au rituel social, détenteurs des positions temporelles qui confèrent le commandement et garantissent l’obéissance des commandés. Un bourgeois sait commander et conseiller par tradition. Il sait parler aux domestiques. Les mots du commandement, les sentences du bon conseil lui sont faciles, font partie de son héritage spirituel. Il redresse, il persuade, il avertit.[1] Il fait vraiment partie des « classes dirigeantes ».

Il sent aussi qu’il a charge d’âmes ; l’homme du peuple a besoin de lui pour se bien diriger dans le monde, pour éviter les maux qui l’accablent et que le bourgeois soupçonne confusément. Il est conseiller et il est protecteur. Il incline à la philanthropie. Il fonde des dispensaires. Des crèches. Noblesse obligeait. Bourgeoisie oblige. Il doit faire ce qu’il peut pour les hommes placés au-dessous de lui : cette mission, cette responsabilité qu’il éprouve sont le revers des pouvoirs de son commandement. Il connaît qu’il est seul à pouvoir conduire les hommes : ne sont-ils point encore dans leur minorité ? Le bourgeois feint de traiter le peuple comme l’ensemble de ses enfants ; il le reprend, l’avertit, le secourt, car il est assez clair que ce peuple ne saurait prendre lui-même

  1. Cf. note C.