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Ils doivent publiquement, officiellement se regarder comme des tenants du parti des hommes. Tombés les premiers dans le piège que leur classe tendit, ils doivent se garder le respect.

Ne parlent-ils pas de Liberté, de Justice, de Raison, de Communion ? Ne se mettent-ils point sans cesse dans la bouche les mots d’Humanisme et d’Humanité ? Ne savent-ils point que leur mission est d’éclairer et d’aider les hommes ? C’est ainsi qu’ils font la théorie de la pratique bourgeoise, qu’ils font la métaphysique de l’univers auquel le bourgeois tient : le bourgeois fut toujours un homme qui justifiait son jeu temporel par le rappel de sa mission spirituelle. Le bourgeois sait. Ses fonctions économiquement, politiquement dirigeantes exigent d’être complétées et garanties par des fonctions spirituellement dirigeantes. Directeurs d’entreprises. Directeurs de conscience. Guides dans les droits chemins. Le bourgeois connaît des secrets, comme un mage. Il connaît des recettes, comme une mère. Il se regarde comme un maître légitime, et en même temps comme une lumière et comme un foyer. Comme un médiateur et comme un médecin. Ce n’est pas en vain que la jeune bourgeoisie traça le portrait du despote éclairé : un Joseph II, une Catherine de Russie lui offrirent en leur temps le visage qu’elle souhaitait à ses représentants. Le bourgeois inclina toujours au type du bon tyran. Il donna des conseils aux gens sans aveu. C’est-à-dire sans répondants. Aux gens qui n’ont pas par exemple de compte en banque. Il est né pour conduire tous ceux qui naissent de l’autre côté de la barrière. Toute son éducation le doit préparer à cette tâche. Il est assuré de soi. Il ne doute ni de son pouvoir, ni de sa mission, ni de sa permanence. Il est appuyé sur l’histoire de sa classe. Un bourgeois authentique est un homme qui a une histoire, qui la connaît et qui l’aime.