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temporel, ils peuvent paraître des arbitres appuyés sur des sentences éternelles, et non des partisans : mais les plus immobiles des masques n’imitent pas longtemps un désintéressement inhumain. Les philosophes finissent toujours par laisser surgir les hommes qui les hantent.

Le désintéressement, la démission pratique mêmes sont des décisions de partisans. La volonté d’être un clerc et seulement un clerc est moins un choix de l’Homme Éternel que l’élection du partisan. L’abstention est un choix. Une préférence. Elle comporte un jugement général, rarement explicité sans doute, et la sélection d’une attitude définie. Le vulgaire le sent : c’est pourquoi il lui est difficile de croire à la pureté de la Philosophie. C’est pourquoi il la moque. Voici une demande qui est faite : les philosophes veulent-ils être des partisans et en même temps des hommes, ou bien des non partisans qui ne soient pas des hommes ? Il est clair que cette alternative est une production purement illusoire de la critique : accepter ses termes fait tomber au milieu de tous les pièges que la bourgeoisie nous tend. Simplement : les philosophes peuvent embrasser plus d’un parti, car la Philosophie n’a pas qu’un seul Destin. Car il n’existe pas de Vérité univoque, éternelle et connaissable telle que la Philosophie univoque, éternelle et connaissante puisse l’élire comme seul objet.

Parmi les philosophes, les uns sont satisfaits, les autres non.

Épicure n’était pas comblé, Spinoza n’était pas comblé, Rousseau n’était pas facile à satisfaire. Mais Leibniz jugeait que le monde allait assez bien. M. Brunschvicg n’est pas mécontent non plus.

Derechef, c’est que les philosophes ont pour