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soustrait à la durée des hommes, remplace la nécessité abstraite d’un spizonisme indépendant de Spinoza, répondant fatal du cartésianisme dans le dialogue de l’Esprit. Mais cette nécessité intime du génie n’est pas moins abstraite que celle de la Raison développant ses sentences, sans référence à l’histoire. Et sans doute n’est-ce pas le lieu de montrer que l’une et l’autre attitude expriment deux exigences diverses de la pensée bourgeoise, éprouvant tantôt le besoin de se sentir portée et justifiée par le mouvement de l’Esprit, tantôt celui de céder à l’orgueilleuse aventure privée, oscillant entre la mystique de la Raison impersonnelle et la mystique intérieure de la personne. Il suffit ici que les historiens des deux genres renoncent également à la modeste appréciation de la Philosophie telle qu’elle est. Ils sont à la vérité sensibles au fait que les philosophes ne sont point aisément substituables, que Descartes n’est pas Platon, ni Zénon Kant. Mais cette perception du sens commun ne saurait amener à conclure que les philosophies sont les fruits de vocations singulières, ou les articulations nécessaires d’un enchaînement mythique de l’Esprit. Ces solutions sont justement celles qui permettent de se passer d’explication. Elles substituent des révélations ou des procès occultes à des formations concrètes. De la même façon une théorie mystique de la Vie permet à la biologie de se dispenser d’explications.

Les Philosophes de la Grèce conservaient une intimité admirable avec les forces réelles de leur philosophie : ils étaient profondément engagés dans la présence et la matière humaines. Leur sagesse vise à des solutions immédiatement applicables. Il y a un commerce perpétuel entre le philosophe et le passant : la philosophie d’Épicure garde un ton quotidien dont nous avons perdu le secret ; le platonisme même malgré ses appels célestes est encore lié à l’argile