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colère et l’acceptation, le conformisme et l’indignation, la ruse et la franchise, alors seulement on peut croire qu’un philosophe est une tête sans corps, un être aussi pur, aussi éloigné du remue-ménage terrestre que le moulage blanc de son masque mortuaire. Le De Intellectus Emendatione attestera toujours l’impureté de la Philosophie.

Il serait temps enfin de renoncer à la vieille croyance au retranchement, à l’éloignement des philosophes s’endormant au milieu du calme plat de leurs contemplations. Toute philosophie, si éloignée qu’elle puisse paraître de la commune condition, possède une signification temporelle et humaine. Humain, trop humain, que ces paroles soient le mot d’ordre du commentaire des philosophes.

Les historiens d’aujourd’hui ont entrepris de faire croire que l’authenticité de la philosophie est marquée par un éloignement aussi grand que possible des souillures de l’homme vulgaire, par le développement serein des motifs qu’elle rencontre. Que les philosophes sont d’autant plus grands qu’ils sont extérieurement plus semblables à de parfaites, à d’anonymes machines. On insinue des doutes sur la qualité des penseurs qui n’entrent point dans ces cadres : M. Brunschvicg parle de la « naïve arrogance » de Marx parce que Marx fut averti de sa position terrestre et dit qu’il fallait changer le monde et non l’interpréter. Mais la décision de regarder seulement le monde est aussi bien une décision terrestre de la Philosophie que la volonté de le changer. Les historiens seraient bien prompts à rejeter de l’ordre des grands philosophes Diderot ou Marx, parce qu’il n’y a vraiment aucun moyen de trouver sur leur philosophie le sceau de la sérénité.

Cette pureté conventionnelle, cette incapacité à descendre parmi les grands remue-ménages de