Page:Nizan - Les Chiens de garde (1932).pdf/17

Cette page a été validée par deux contributeurs.


II

LES PHILOSOPHES CONTRE L’HISTOIRE


Les historiens de la philosophie qui forment le gros des philosophes de ce temps assurent que les pensées sont soumises aux lois d’exception d’un règne spécial de l’existence. Ils feignent d’être convaincus par cette assurance qu’ils prodiguent. La pensée leur paraît une activité vraiment pure exercée par des êtres qui n’ont ni lieu ni temps et qui ne sont pas unis à un corps, par des êtres qui n’ont point de coordonnées. Ces penseurs disent en somme que la Philosophie dans tout le cours de son histoire a consisté à avancer et à retirer des pièces mobiles sur un échiquier des idées. Que de combinaisons possibles, que de belles parties proposées aux sages s’ils appliquent seulement les règles compliquées de ce jeu d’adresse que les historiens inventent !

L’espèce des philosophes paraît revêtue de caractères singuliers, encore que cette singularité ne soit peut-être rien d’autre qu’une absence de caractères. Elle forme un groupe humain étalé, dilué dans l’étendue, dans le souvenir de l’histoire, qui n’entre point en relations avec les autres groupes humains, comme celui des seigneurs, des clercs d’église, des marchands, des