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que la justice exige d’une grande démocratie comme la nôtre. » (Disc, au IIIe Congrès de la Ligue de l’Enseignement, 1894.)

Il fallait réformer les justifications morales. Durkheim les reprit et donna à la bourgeoisie les armes spirituelles qu’elle exigeait. Après quelques résistances, la philosophie de Durkheim domina.

« Et M. Bouglé, disciple de M. Durkheim, nous explique que « la politique n’a pas été étrangère à ce « revirement ». Les collaborateurs de l’Année Sociologique, dit-il, « comprirent mieux devant l’adversaire « commun, qu’ils suivaient le même idéal ». (Enquête d’Agathon, p. 107.)

Il y avait eu les institutions morales un peu exsangues de la grande époque, celle de Buisson, de Steeg, de Pécaut. Puis les institutions plus nourries du règne de la sociologie. Ces institutions furent consacrées par M. P. Lapie qui les imposa aux Écoles Normales. Dans Décadence de la liberté, M. Daniel Halévy, analysant la puissance de notre corps universitaire, marque bien le rôle de M. Lapie, introducteur de cette sociologie : « vague matière dont la seule chose qu’on sache avec précision, c’est qu’elle est la philosophie du radicalisme et du socialisme officiels. » (p. 101 sq.)

Ainsi les philosophes accomplirent-ils les tâches des Parlements. De leurs chaires, descendirent dans les Facultés, les lycées, les écoles primaires, tous les conformismes civiques et moraux, cet amas de docilité, de paresse et de servilité contre quoi s’élève une nouvelle philosophie. Péguy s’écriait :

« Quand donc nos Français ne demanderont-ils à l’État et n’accepteront-ils de l’État que le gouvernement des valeurs temporelles ?… Quand donc notre État, qui a déjà tant de métiers, qui fabrique des allumettes et qui fabrique des lois… comprendra-t-il que ce n’est pas son affaire que de nous fabriquer de la métaphysique… Nous avons le désétablissement des Églises. Quand aurons-nous le désétablissement de la métaphysique ?… Nous n’avons plus de catéchisme d’État… Faudra-t-il, Pulligny, que ce monde sans Dieu qu’ensemble, nous éditâmes d’un bon accord… faudra-t-il que ce Monde sans Dieu, par un retournement que sans doute vous n’escomptez pas, devienne à son tour un nouveau catéchisme gouvernemental, enseigné par les gendarmes, avec la bienveillante collaboration de Messieurs les Gardiens de la Paix ? »

Ch. Péguy, De la Situation faite au parti Intellectuel, O. C., III, 166.

D’un autre bout de l’horizon, avec de tout autres motifs, de tout autres indignations, des voix révolutionnaires font entendre la même condamnation.