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1879, il disait : « (L’État) s’en occupe (de l’éducation) pour y maintenir une certaine morale d’État, certaines doctrines d’État qui importent à sa conservation. » Plus tard L. Bourgeois, au Concours général de 1891, s’écriait : « Combien plus nécessaire encore est cette unité de doctrine dans l’œuvre de l’éducation morale… »

Cette théorie d’État est encore celle de M. M. Roustan, qui révoque bassement quiconque ne la partage point. (Affaire Boyer.)

En fait il s’est formé depuis 1880 un corps national de doctrine. Par le commerce des politiques, des philosophes, des fonctionnaires de la rue de Grenelle. Par l’impulsion de ministres et de bureaux patients et obstinés, par l’impulsion de l’État : « C’est-à-dire en définitive un ministre, assisté de 3 ou 4 directeurs avec leurs bureaux, d’une dizaine d’inspecteurs généraux, et de conseils et comités irresponsables. » (F. Pécaut, Études au jour le jour, VII.) Cette doctrine qui porte expressément sur la morale a été, est encore méthodiquement enseignée à tous les degrés de notre enseignement si bien lié dans toutes ses parties.

Avec quelle promptitude les philosophes se laissèrent-ils mobiliser au service de la politique bourgeoise, de Buisson à Steeg, de Durkheim à Belot ! Avec quelle ardeur ces clercs se laissèrent-ils asservir aux projets des politiques qui avaient eu l’audace de faire appel à eux : « Ce fut une singulière hardiesse… que cet appel à la philosophie pour la formation des instituteurs dans un pays où leur préparation jusque-là si insuffisante n’avait jamais comporté d’autre aliment moral que le catéchisme appris machinalement… (H. Marion, Le mouvement des Idées pédagogiques en France depuis 1870, p. 16.)

Cette audace fut couronnée de succès : les philosophes multiplièrent les manuels radicaux, les cours de faculté, au service de la morale de classe pour laquelle les ministres leur demandaient des justifications. La grande spécialité de la philosophie française fut la pédagogie : que de noms au service des majorités laïques, Marion, Espinas, Dauriac, Egger, Thamin, Durkheim, Fauconnet. Que de titres de manuels. Quel mouvement dans la librairie scolaire.

Leur tâche était assez claire : il s’agissait d’apprendre à l’enfant « à aimer cette société moderne fondée en 1789, ces principes de 1789… qui constituent notre morale civique et l’âme même de notre patrie ». (J. Ferry, 10 juin 1881.) Quelques textes feront assez voir l’objet de ces efforts moraux :

« Le rapporteur (Paul Bert) exposa alors que l’enseignement civique devait contenir deux parties : la première,