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jeunes institutrices du peuple « à se considérer comme attachées à une œuvre divine où il dépend d’elle de travailler dans le sens de Dieu lui-même, en faisant surgir du sein de l’inconstance et de l’instinct grossier à l’aide des éléments du savoir, la femme de conscience et de raison, capable de vérité et de justice, non moins que d’amour ».[1] Les conclusions de M. Buisson étaient bien claires : d’une part,

« Toute prétention de substituer soit à l’autorité de la raison, soit à celle de la conscience, une autorité prétendue supérieure va à l’encontre des lois de la nature humaine et nous empêche de remplir pleinement notre destination. »

Voilà pour l’orgueil. Voici pour le recours :

« Le pire athéisme… c’est l’athéisme moral : ce n’est pas celui qui nie dogmatiquement l’existence de Dieu, c’est celui qui en nie pratiquement l’essence à savoir la vertu idéale et l’idéale justice. » Et en note, citant G. Séailles, M. Buisson parle de l’immanence du divin. Dieu comme la Raison, intérieur à l’âme bourgeoise.

Aussi bien, les penseurs d’aujourd’hui attachés à une religion positive, savent à qui s’en tenir sur la Philosophie officielle : M. G. Marcel dit de M. Brunschvicg :

« L’orgueil tout d’abord, je n’hésite pas à le déclarer. On m’arrêtera en me faisant observer que cet orgueil n’a pas un caractère personnel puisque l’Esprit dont M. Brunschvicg nous entretient n’est l’Esprit de personne. Je répondrais tout d’abord que c’est, ou que cela veut être l’Esprit de tout le monde ; et nous savons depuis Platon ce que la démocratie dont cet idéalisme n’est après tout qu’une transposition, recèle de flatterie. Ce n’est pas tout : en fait l’idéaliste se substitue inévitablement à l’Esprit — et cette fois nous avons affaire à quelqu’un… Et il est évident que si cet idéaliste se trouve mis en présence d’un marxiste, par exemple, qui lui déclare nettement que son Esprit est un produit purement bourgeois, enfant du loisir économique, il lui faudra se réfugier dans la sphère des abstractions les plus exsangues. Je pense quant à moi qu’un idéalisme de cette espèce est inévitablement coincé entre une philosophie religieuse concrète d’une part, et le matérialisme historique de l’autre. »[2] Et nous voyons la philosophie de M. Brunschvicg incliner vers un couronnement religieux. De la Connaissance de soi est un livre dévot. L’idéalisme bourgeois, avec les diverses

  1. L’Éducation publique et la vie nationale, p. 177.
  2. Remarques sur l’irréligion contemporaine, février 1931, Nouvelle Revue des Jeunes, 15 février 1931.