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Note M

Tout bourgeois se sent élu.

« La première phrase du Traité de Morale de Malebranche est celle-ci : « La raison de l’homme est le verbe ou la sagesse de Dieu même… » Et je ne puis m’empêcher de me demander : pourquoi donc cet acharnement contre la Raison, comme si c’était quelque artifice malin inventé par l’homme à sa guise et pour son profit, comme si elle n’était pas, elle aussi, elle surtout de droit divin, comme si nous pouvions contredire à ce mot que l’évidence arrachait aux païens eux-mêmes : nihil est in homine, ratione divinius. »[1]

Ce caractère quasi religieux de la Raison prépare un repli toujours possible à la pensée bourgeoise vers les havres assurés de la foi religieuse. Cette Raison n’exclut pas un au-delà. Le penseur bourgeois réserve toujours les droits possibles d’un Dieu qui garantira la Raison. Il y a dans la philosophie française une reconnaissance de la finalité : M. Boutroux, M. Bergson ont préparé les voies à la Religion. M. Buisson, père de la pensée scolaire :

« Il y a au moins un point dans l’ample sein de la nature d’où jaillit une force qui, à tort ou à raison, se croit libre, se révolte contre la nécessité, aspire à des fins supérieures. C’est le moi humain. » M. Buisson aperçoit une issue religieuse possible, en établissant une distinction entre l’âme et le corps des religions : l’âme de la religion :

« C’est cet élan spontané de l’âme qui entraîne tout ensemble l’intelligence, l’imagination, le cœur, la volonté. L’âme de la religion c’est ce qu’il y a en elle d’éternel et d’indestructible…

« La fonction religieuse… est d’empêcher l’esprit humain… et chacune de ses facultés… de s’arrêter, de s’immobiliser, de se pétrifier… »

Le secret maintien de cette atmosphère religieuse est au fond de la réforme scolaire de la République :

« Qu’est-ce que l’école laïque ?… De bons esprits.… se sont laissés aller à ne voir dans notre révolution scolaire, les uns qu’une réaction contre le catholicisme, les autres qu’un triomphe du positivisme. » Cette école est celle qui établit dans les esprits la souveraineté de la Raison et de la conscience. « L’homme même de l’école laïque est un F. Pécaut, organisateur de l’École de Fontenay, qui écrivait que l’école doit appeler les

  1. F. BUISSON, La Religion, la Morale, pp. 59 et suiv.