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vivants, il ne saurait être que le technicien de ces demandes, il ne saurait avoir désormais pour fonction que d’exprimer les volontés à demi obscures, les révoltes obscurément éveillées dans les hommes. Il ne saurait avoir pour mission que de dénoncer toutes les conditions où l’homme n’est pas un homme, de les expliquer, de les établir si fortement que soient éveillés à la conscience de leur propre situation tous ceux qui vivent encore sans la comprendre. Marx disait :

« Nous ne nous présentons pas au monde comme des doctrinaires avec un nouveau principe : Voici la Vérité, agenouille-toi. Nous ne lui disons pas : abandonne la lutte, ce ne sont là que des bêtises. Nous ne faisons pas autre chose que lui montrer pour quels buts il lutte en réalité. Il faut qu’il acquière la conscience de lui-même, même s’il ne le veut pas. »

Toute philosophie propose un type. Les intentions pratiques de chaque philosophie s’incarnent dans un modèle humain. Un objet à imiter. Les philosophies antiques élaborèrent les types divers du Sage. Les philosophies modernes proposèrent celui du Citoyen. Que le Citoyen rejoigne le Sage dans la poussière de l’histoire. Ces types meurent avec le Saint. Avec la dernière invention de la philosophie bourgeoise que propose M. Benda. Le type vers lequel tend le philosophe des exploités est celui du révolutionnaire professionnel décrit par Lénine. Il s’oppose aussi brutalement qu’il se peut au clerc contemplatif établi par la pensée bourgeoise. Il n’est pas encore question pour le philosophe révolutionnaire d’imaginer des valeurs futures. La révolution n’est pas faite. Il ne saurait se proposer qu’un type d’homme qui se dirige vers la révolution mais qui ne l’a point faite. Les penseurs qui se rallient à la révolution ne sont que trop prompts à croire que la Révolution est