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bien si elle sera reprise et maniée. Dans les Universités, dans les Écoles, dans les Lycées, des jeunes gens sont en train d’apprendre le maniement académique de cette arme : ne feront-ils point un autre usage de cette connaissance ? À l’heure où la civilisation de leurs pères est exposée au danger final, accepteront-ils de la défendre contre les hommes ? Ou bien trahiront-ils leurs pères ? Ils sont en position de subir les effets de la révolution de la honte, au travers de laquelle s’opère « l’entente de ceux qui pensent et de ceux qui souffrent ».[1]

Ils sont en position d’abandonner le monde de leurs pères à la décrépitude qui l’atteint, d’accélérer sa mort.

Les fonctions authentiques de ce qu’il faut encore, provisoirement, nommer l’esprit, excluent désormais toutes les attitudes du clerc : l’esprit ne sera plus à la fois protecteur en paroles et réellement absent.

Pour les philosophes qui doivent paraître, il n’est plus question de proposer de grands modèles, de donner des conseils du fond de la Sagesse, de guider, de réprimander, de promettre. Il n’est plus question de faire les philanthropes. Et de ne rien risquer. Il n’est pas question de faire quelque chose pour les ouvriers. Mais avec eux. Mais à leur service. D’être une voix parmi leurs voix. Et non la voix de l’Esprit. Il est question d’être utile. Et non de faire l’apôtre. Dans les années que nous vivons, le philosophe sera mis à son rang. Lié aux revendications triviales des hommes

  1. K. MARX, Annales franco-allemandes, 1844. Cette formule traduit encore un certain romantisme. La pratique marxiste le fera promptement disparaître.