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en même temps de tolérer qu’ils soient humiliés et écrasés. Il est désormais impossible de tirer des plans en public pour une réalisation abstraite de l’Homme : on veut ou on ne veut pas leur réalisation réelle : ce choix est bien plus radical que toutes les critiques. Si le penseur ne conforme pas sa pensée au travail de cette libération et de cet achèvement et de cette plénitude, son amitié affichée pour les hommes est stérile.

Mais quiconque veut embrasser leur parti n’a pas à exercer de très grandes contraintes : car les hommes ne demandent qu’à être complétés.

Pendant longtemps le jeu de la pensée bourgeoise a gagné ses parties, il a obtenu ces marques de respect, cette confiance, cet espoir dans les clercs ; tout ce qu’elle escomptait. Mais voici que cette confiance est lasse ; voici que cet espoir se déçoit, que ce respect s’éloigne : ceux que la bourgeoisie libérale embrassait du nom de Peuple, trouvent que l’intervention se fait trop longuement attendre. Ils s’étonnent que les clercs ne soient pas efficacement utiles, ne leur donnent pas les moyens de surmonter les dures nécessités où ils sont pris au piège. Rien n’arrive. Toutes les chaînes sont scellées. Quel immense écart entre ce que les clercs promettent et ce qu’ils tiennent. Cet écart met en question toute la destination de la pensée. Cet écart angoisse les hommes les meilleurs.

« La nécessité intrinsèque de ce rapport (la Justice) entraîne son universalité : la violation des garanties du justiciable provoque à travers l’étendue du monde civilisé la même réaction intellectuelle, la même indignation. » Ainsi parlait Léon Brunschvicg.[1]

  1. Bulletin de la Société française de Philosophie, 1910.