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indéfiniment étendre, touchant les perceptions, ouvre un débat qui mène au centre de la bataille entre le concret et l’abstrait, entre le matérialisme de la vie vécue et l’idéalisme des perceptions sociales. Il ouvre une grande avenue de questions.

Comment persuade-t-on ? Qui veut-on persuader ? Pourquoi, au nom de quel intérêt persuade-t-on ? Qui sont les maîtres des perceptions ? D’où viennent passivité, crédulité, respect des jugements persuadés ?

L’ensemble des perceptions fausses est précisément enseigné par l’École, qui prépare l’entrée en jeu de la presse et des persuasions politiques. L’usine qui les fabrique à l’usage de l’École est justement l’Université : l’influence des philosophes constitue un pouvoir spirituel que ne soupçonnent pas les Français qui vivent dans le siècle, et qui manifeste enfin des conséquences politiques. Peut-être n’est-ce pas ici le lieu de mesurer complètement le rôle qu’a joué dans la constitution, dans la prise de conscience de la pensée bourgeoise, la philosophie universitaire.[1] Mais je me sens d’abord assuré que la Philosophie, quels que soient d’ailleurs ses contenus particuliers, aura l’efficacité cherchée, le rayonnement qui justifie l’opportunité d’une attaque. Je me sens assuré que ses détenteurs doivent être mis en cause. Que les perceptions qu’ils ont patiemment enseignées doivent être soumises à révision. La trahison qui est défendue ici consiste premièrement à détruire le système d’illusions que la philosophie assemble, et à donner le pas à la véritable expérience humaine et à ses problèmes. Quelles que soient les conséquences qu’une pareille démarche peut entraîner pour la sécurité de l’État et la permanence bourgeoise de la France : ces conséquences ne nous concernent pas. Nous n’avons rien à perdre.

  1. Cf. note Q.