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ventre. Ils sont là pour arrêter les hommes fidèles à bien des vieux espoirs, ils sont là pour écraser les uniques défenseurs de l’avenir des hommes. On est plein de la haine et du mépris que provoquent leurs seuls visages suffisants, on n’a point de consanguinité avec eux, ils ne sont pas des hommes selon notre espèce et notre règle, et le seul espoir est placé dans les mitrailleuses de la guerre civile. Mais voici qu’il faut penser que ces déchets humains, ces matraqueurs casqués aux joues rouges, font le même travail que les purs et vénérables penseurs auprès de qui nous avons grandi. Ils le font sans doute avec une efficacité plus brutale, les armes automatiques écrasent plus sûrement la révolte que les concepts dociles que rangent les caissiers soigneux de la pensée bourgeoise. Un fusil est plus puissant quand son heure est venue que la sociologie de Durkheim : et sans doute notre vie connaîtra-t-elle un temps où nous devront consacrer plus de temps à la pensée sur les fusils qu’à la pensée sur les pensées. Mais les porteurs de fusils et les arrangeurs de pensées poussent à la même roue et portent l’eau au même moulin. Ayons le ridicule de croire que l’attaque vaut d’être lancée : Lénine ne méprisa point à son heure la lutte contre Mach et contre Bogdanov. Plekhanov ne la méprisa point. Ni Marx. Octobre n’est pas le seul moment de la vie. Nous nous acquitterons de tâches moins glorieuses que l’insurrection.

Ces penseurs ne pensent point d’une manière inoffensive : aucune pensée n’est vide de poisons pourvu qu’elle doit dite et redite. Je vois dans l’État tout leur secret pouvoir. Sans doute, n’aperçoit-on point du premier coup le danger réel que M. Fauconnet ou que M. Lalande peuvent faire courir aux hommes : c’est qu’on ne pense qu’aux livres. Et en effet qui donc lit Les Illusions évolutionnistes du second et la Responsabilité du premier ? Un révolutionnaire mal